Journal de Hiroshima

 

Him: What are you doing in Hiroshima ?
Her: A film.

 

HIROSHIMA MON AMOUR
En préparant mes affaires pour venir à Hiroshima, j'ai oublié de prendre le livre de Duras. Je n'ai pas vraiment « oublié », je n'y ai plutôt pas pensé, ou encore, je ne pensais pas qu'il était important de prendre ce livre. Il fallait choisir parmi de trop nombreux livres et celui-là, je l'avais lu et relu avant de partir, je pensais donc pouvoir m'en passer.
Pourtant, le « tu n'as rien vu à Hiroshima » hante très vite ici. Ce livre est essentiel pour celui qui passe du temps à Hiroshima. Il est comme une prémonition fulgurante de la réalité ou plutôt de la non-réalité de ce qu'est Hiroshima. On ne « voit » rien à Hiroshima. Rien.
Et à Hiroshima, on ne trouve Hiroshima, mon amour qu'en version anglaise.

Him: "You saw nothing in Hiroshima. Nothing."
Her: "I saw everything. Everything."
Him: "You saw nothing in Hiroshima. Nothing."
Her: "The hospital, for instance, I saw it. I'm sure I did. There is a hospital in Hiroshima. How could I help seing it ?"
HIM: "You did not see the hospital in Hiroshima. You saw nothing in Hiroshima."

Je n'ai pas vu l'hôpital à Hiroshima. Il n'en reste aujourd'hui qu'un débris, un angle de murs ravagés, qui sert de décoration dans un parterre floral devant le nouvel hôpital.

UN FILM
Je suis venu à Hiroshima pour faire un film sur la disparation de la mémoire de cette ville en tant que ville détruite par la bombe atomique, en tant que ville cimetière.
Je travaille principalement à la réalisation de films portant sur la mémoire des événements incompréhensibles (pour moi) de notre histoire récente. Je ne comprend pas la barbarie de notre histoire, ou plus précisement, je ne comprend pas le mal que nous pouvons nous-même, et non l'Histoire, faire, j'interroge alors certains événements historiques particulièrement tragiques, exemplaires de la violence constitutive de toute forme moderne de sociétés dites civilisées. Ce n'est pas d'ailleurs pas tant « interroger des événements historiques » qu'essayer de traduire les énigmes que ces évenements (me) posent. Je ne cherche pas à donner des clefs de lectures ou un point de vue ainsi qu'opère le documentaire classique. Je coutourne plutôt l'évenement-matière du film. Je ne l'affronte pas. C'est par l'absence, ou alors par la non-centralité, que j'aborde chaque « événement » qui motive un nouveau travail.
Faire des documentaires m'obligerait à m'affronter aux images de la destruction. Je les connais ces images, je les regarde, je les collectionne même dans une sinistre iconothèque de la mort et de la ruine. Mais, il m'est impossible d'en faire la matière-première d'un film. De les affronter directement. Il faut être fort ou ignare pour pouvoir les utiliser. Fort car il ne faut pas se faire happés par les abymes que chacune d'elles ouvre. Ignare car il ne faut avoir aucune morale, ou aucun sens critique pour utiliser ces images de cette manière totalement naîve qui caractérise la grande majorité de ces documentaires dont la télévision nous abreuve ; documentaires réalisés par des professionnels, dont le métier est justement de savoir traiter n'importe quel sujet, ce qui induit une certaine efficacité, incompatible, il me semble, avec le temps nécessaire à la pensée la catastrophe et de ses représentations.

UN FILM À HIROSHIMA.
Lors d'une « collecte » d'images d'archive, je suis tombé sur un film de l'armée américaine totalement sidérant. Il a été filmé à Hiroshima quelques jours après la bombe. Un film scientifique sur les « effets » de la bombe. Un charmant G.I. y est filmé comme un démonstrateur, comme un guide (le film est muet et ce démonstrateur doit donc indiquer aux commanditaires et au simple spectateur quoi regarder dans cet immense champs de ruines qu'est devenu Hiroshima).
« Regardez, ici je suis situé à la verticale précise de l'endroit où la bombe a explosé. » (La bombe a explosé non pas au sol mais à plusieurs dizaines de mètres au-dessus de la ville pour que l'effet de la dévastation soit plus fort. Il y a eu plusieurs effets produits par la bombe. La chaleur extrème autour de l'explosion : là les gens se sont carbonisés instantatement, un peu comme à Pompéi, tous dans la position occupée à ce moment-là. L'effet dévastation ou plutôt souffle : les gens se sont retrouvés projetés contre les murs de leurs maisons qui se sont dans le même temps écroulées sur eux, les rendant ainsi prisonniers, et parmi ceux qui ne sont pas mort la tête explosée contre une poutre certains sont morts brûlés vifs par l'incendie qui suivit automatiquement l'explosion. La radiation qui « brûle » tout et qui fait réelement disparaître ceux qui sont proches et qui condamne à plus ou moins long terme les survivants restant et parfois leur descendants.)
« Regardez cette poutre en fer, d'un côté elle est brûlée, de l'autre la peinture est encore là. » (Ce qui permet de comprendre d'où vient le souffle de la bombe.)
« Regardez cette très grosse statue très lourde qui a bougé de place sous l'effet de la poussée du souffle. »
« Regardez, là, à l'hôpital (le fameux dont il ne reste qu'un angle de murs entre deux rododendrons) toutes les fenêtres ont explosé. » (Il n'indique évidemment pas que des gens se sont retrouvés lardés d'éclats de verre jusque dans l'interieur du corps et que la plupart en sont morts. Il ne montre pas non plus les bords des sept branches de la rivière Ota dans lesquelles se sont jetés les survivants brûlés et qui en sont morts, l'eau recueillant toute la radiactivité, il ne montre pas le ciel d'où quelques heures après l'explosion une pluie noire et radioactive est tombée sur les survivants, il ne montre pas les agonisants la peau des bras pendante au bout des mains, pourrissant vivants les heures suivantes, les mouches sortant de leur corps encore vivants. Il ne montre que les ruines, oubliant les cadavres encore coincés sous ses pieds. Ce Gi est un Américain plein de bonne conscience du devoir accompli, fier de la mission qu'il lui a été confiée. Il doit avoir une petite amie qui l'attend sagement dans un bled pourri des Etats-Unis et qu'il trompera peut-être avec l'une de ces Japonaises enclines à apporter quelques joies des soldats américains. Il n'est pas responsable de la bombe, mais ceux qui l'on jeté aux visages de cette ville et de Nagasaki devait avoir la même satisfaction débonnaire. Ou encore si lui n'en ai pas responsable en tant que représentant de l'armée américain, qui en ai responsable ?)
Et puis vient, parmi cette accumulation d'absences de l'horreur que sont les images de la ruine, un moment particulièrement saisissant.
« Regardez ce pont ». Là, un pont. Le G.I. américain plein de bonne conscience du devoir accompli nous le montre. Il y a une rambarde le long de ce pont. L'ombre de cette rambarde résultant de la bombe apparaît au sol. C'est-à-dire que par sa présence, la rambarde a « empêché » les radiations de passer. Du coup, le sol du pont est cramé sauf les endroits "recouverts" par l'ombre de la rambarde. Cet « effet » comme photographique, ou plus précisement comme une impression « positive » et non négative, a été observé dans différentes situations. Par exemple, les gens qui portaient des tissus de motifs noirs et blancs, ont été brûlés au niveau du noir et non au niveau du blanc du tissu. Du coup, leur peau a « imprimé » le motif. Ce qui serait assez élégant si ce n'était terriblement atroce. Donc ce pont avec ses motifs de rambarde incrustée. Jusqu'ici tout va bien, on est encore dans la ruine, même si c'est celle abstraite et à ce moment-là totalement inédite de la lumière. Mais le G.I. américain (j'ai oublié de préciser "blanc" mais c'est un présupposé), nous montre un endroit où les ombres (positives donc et non négatives) sont étranges et ne correspondent plus à la rythmique simple de la rambarde. « Qu'est-ce que c'est ? » semble nous demander ce gentil américain qui doit recevoir gentiment ses amis le week-end pour des barbecues amicaux. Suspens… Alors, il va vers l'ombre protéiforme, pose un pied à l'une des extrémités d'une excroissance de l'ombre, pose le second sur une autre extrémité et là on comprend ce qu'il nous montre. C'est l'ombre de quelqu'un. Quelqu'un a disparu en laissant sur le sol son ombre positive.
À cet instant, à cet instant précis où j'ai compris ce que nous montrait l'Américain fier de lui, j'ai ressenti un vide assez profond. Les êtres humains peuvent disparaître physiquement en ne laissant de leurs corps, de leur existence, qu'une ombre positive sur le sol.
Ensuite seulement j'ai découvert les autres photos représentants ce phénomène « inédit ». Il y a une photo de Nagasaki sur laquelle on voit deux ombres sur un mur en fer, dernières traces de deux ouvriers d'une usine. Et à Hiroshima une ombre de quelqu'un qui était assis sur des marches au pied d'un mur et qui y a laissé son empreinte. Ce mur est d'ailleurs dans le Musée de la Paix de Hiroshima, prêt à être photographié par les hordes de touristes bedonnants qui le visitent. « Hier : Kyoto, ce matin : Hiroshima, cet après-midi : Myajima, et demain : Osaka, journée libre pour faire vos courses de bibelots. »
Donc, les hommes et les femmes peuvent totalement disparaître, par la grâce d'un engin crée par d'autres hommes et d'autres femmes, ce qui revient à dire que des hommes et des femmes peuvent être totalement annihilé par la main d'autres hommes et d'autres femmes. Ce n'est plus le simple « je te tue » mais l'inédit « je fais que tu n'existes pas, je te nie en tant que corps physique ». Il ne peut rester d'hommes et de femmes qu'une ombre sur le sol, ou sur un mur. Et rien d'autre. Et encore d'autres victimes n'ont même pas eu le droit de laisser une ombre sur le sol ou sur un mur, d'autres victimes n'ont rien laissé du tout.
C'est ça la bombe atomique et c'est ça Hiroshima. La possibilité de l'effacement radical.

A FILM OVER HIROSHIMA
Évidemment, j'ai commencé une collecte de tout ce qu'on peut trouver sur Hiroshima. Ce qui n'est finalement pas très dur car en France, Hiroshima n'existe presque pas en dehors de cinq minutes en classe d'Histoire à la fin de la seconde guerre mondiale et en dehors d'une œuvre important de Resnais et Duras opus cité.
Très rapidement, je découvrais que l'un des bâtiments proches de l'hypocentre avait résisté en partie et que ces ruines avaient été conservées telles quelles et que ce bâtiment, en français le A-Bomb Dome, servait un peu de Tour Eiffel de Hiroshima. Je pensais même que c'était le seul bâtiment ayant résisté. Ce qui est plus convaincant comme sujet de film. Mais entre temps j'ai découvert que plusieurs bâtiments avaient résisté, dont notamment ce triste hôpital rododendronté, une banque qui est resté très longtemps une banque, une autre banque (les banque sont quelques choses de très résistantes, l'argent devant résisté à la catastrophe et à la mort, les banques servent à le protéger) transformées en boutique de produits alimentaires du Danemark, et d'autres encore. En fait, le A-Bomb Dome est le seul bâtiment non pas à avoir résisté à la bombe, mais à être resté en ruine. Il serait cynique d'affirmer que les autres bâtiments appartenaient à des entreprises privées qui n'avaient cure de préserver la mémoire et que le dôme, bâtiment public appartenant à la ville deHiroshima et servant avant la bombe à promouvoir l'industrie locale, n'a tout simplement pas dès après la bombe été restauré pour cause d'argent et non pour cause de monumentalisation. Il serait cynique de dire que le dôme est resté non pour se souvenir mais plutôt que sa restauration ou sa démolition aurait couté trop cher pour une ville aux finances exangues. Mais pourtant cela est. Et je ne le savais pas encore, tout naïf envers l'histoire officielle.
Je décidais donc de faire un film en deux parties. La première serait une animation réalisée par accumulation chronologique de photographies présentant le dôme. Cela aurait pour effet de voir la ville « pousser » autour de cet élément resté fixe. Comme une métaphore de la vie qui reprend le dessus, et donc par conséquence du deuil fait de la catastrophe. Je ne voulais pas exprimer une morale, savoir si par positivisme on peut trouver juste que la vie soit plus forte que la mort ou si par pessimisme on peut penser qu'oublier par trop vite la catastrophe et ne pas en faire le centre de la vie permet à la catastrophe de se reproduire. Bon je suis plutôt pessimisme, mais c'est au spectateur que l'interprétation de la proposition que je lui soumets appartient. Cette partie nécessite l'acquisition d'au moins 4 ou 5 milliers d'images datant d'avant-guerre jusqu'à ce jour pour quelques minutes seulement de film. La deuxième partie devait être une courte série de plans montrant des lanternes flottant dans un bras de la rivière Ota. Ces lanternes sont déposées chaque année par les survivants et flottent au fil de l'eau jusqu'à se perdre dans la mer. Elles représentent les âmes des disparus qui partent. Mais une fois encore cela n'est que fiction.
Un film sur l'étiolement de la mémoire. Dramatiquement poétique.

Evidemment, je ferais l'économie du montage de ce projet : un court-métrage d'animation expérimentale et documentaire sur la reconstruction de la ville deHiroshima autour du Dôme. Mais il est important de dire pour la suite, que le budget étant serré, je peux venir faire les recherches à Hiroshima, mais que je ne peux pas acheter d'images d'archives. Cependant, même avec un budget confortable, il aurait été impossible d'acheter 5OOO photographies.

OBSCÉNITE
Pour la faire court et sévère, tout ce qui est ici officiel, ce qui correspond à la quasi-totalité des événements organisés ou proposés pour la commémoration de cette tragédie, et en tant cas tout ce que l'on trouve de cela en dehors de cette ville et auquel on ne trouve ici d'alternative que par hasard, est obscène. Il n'y a pas d'autre mot. Quand tout n'est mû que par la bonne conscience dégoulinant de bons sentiments, il ne peut y avoir de justesse. Beaucoup de choses sont à écrire de cette obscénité, comme elle se traduit, comment elle est vécue, par quoi est-elle portée et comment, par qui et pour qui… Mais cela fait trop de questions. Et je peux apporter de réponses. Je ne peux qu'exprimer la violence que cette obscénité à sur moi. Par bribes. Par un exemple précis. Par un peu d'histoire aussi.

IL N'Y A JAMAIS EU DE PLACE POUR LES SURVIVANTS À HIROSHIMA
Hiroshima c'est 140000 mort à la fin de l'année 1946. Une bonne centaine de milliers morte dans les premières heures. Au choix, de manière incomplète et pour me répéter :
L'instant T : disparus, dans les airs en laissant une trace ou non, carbonisées d'un coup, écrasée sous un mur, la tête explosée contre un objet concomitant, déchiquetée par des éclats de verre ou autres matériaux coupant…
T+1 : brûlés vifs, noyés par la montée de la marée alors qu'ils agonisaient sur la rive, purulence de tout le corps, morts de soif, gangrène, épuisement
T+2 : la maladie de la bombe. Longtemps incompréhensible. Espèce de leucémie fulgurante. Premier signe, on perd ces cheveux, des taches sur la peau, des boutons qui grattent, la fatigue, la mort.
L'instant T+3 devient plus dramatique car il aurait pu, il aurait dû surtout, être évité : mort de faim, de soif, de non-traitement de la maladie, dans l'indifférence la plus totale, la plus grossière.
Les Américains n'ont rien fait pour les survivants. Pires, ils les ont utilisés comme cobayes. Les survivants ont très tôt dû subir des examens à l'ABCC, centre américain de recherches sur les effets de la bombe. Les Hibakusha venaient, étaient examinés puis on les renvoyait chez eux sans les soigner. J'imagine les conversations des docteurs… Ils devaient organiser des BBQ le week-end entre amis et se taper des putes japonaises pour se relaxer de ce travail exténuant.
L'état japonais n'a rien fait si ce n'est dépêcher des unités pour brûler les cadavres envahissants. Heureusement que certains ont tout simplement disparu, cela a fait moins de travail.
Les habitants autour d'Hiroshima ont aussi été odieux. Si certains se sont comportés humainement, les autres ont juste vu les survivants comme des choses monstrueuses avec qui il était inenvisageable de partager une patate.
Une grande partie des survivants est morte de cette absence déplorable de charité. Mourir de faim après avoir vécu la bombe est une double punition injustifiée et injustifiable. On a, nous avons ?, laissé mourir ces gens comme des chiens. Et encore un chien aurait eu le droit à plus de considération. 
Les témoignages des survivants sont effroyables. Non seulement leurs expériences strictes de la bombe sont effroyables mais le peu d'aide et de réconfort et surtout les difficultés strictement matérielles vécues après sont stupéfiantes. Des survivants sont morts de faim à Hiroshima quelques jours après la bombe. Seuls ont vraiment résisté ce qui avait la chance d'avoir de l'argent caché ou à la banque (ré-ouverte l'après-midi même du jour de la bombe, les banque sont fiables…). L'injuste sociale préexistante a tranché quant à savoir qui devait ou pas survivre.
L'instant T+4 parachève cela. Les hibakusha ont vécu (enfin certains d'entre eux, les autres n'ayant pas eu cette « chance ») pendant plusieurs années sans aucune aide. Plus grave surtout, avec honte. Il n'était pas de bon ton dans la société japonaise d'après guerre d'être survivant de la bombe. Les nouveaux habitants de Hiroshima (j'imagine que le terrain ne devait pas être bien cher) ont même obtenu l'interdiction pour les hibakusha de se baigner à la piscine publique. Évidemment une femme des cicatrices de brûlure sur le visage, ça fait peur aux enfants.  Tous racontent cela, les réflexions dans le bus (quand même vous faite peur aux enfants), dans la rue, l'impossibilité de se marier, la peur que la « contamination » se transmette… Non seulement les survivants ont été laissés à leur sort, mais en plus ils ont dû se cacher. Aujourd'hui encore vivent des hommes et des femmes qui ne sont jamais sortis de chez eux pour ne pas effrayer les enfants, aujourd'hui encore des hommes et des femmes meurent de la maladie de la bombe, et aussi aujourd'hui encore, il n'y a pas de place pour les écouter. À Hiroshima, on préfère honoré les morts qu'aider les vivants et les écouter. On ne voit rien à Hiroshima. Rien. On ne voit qu'un mensonge. Un parc Disney de la catastrophe où tout est faux. Les survivants sont caché derrière le dehors, oou plutôt ils y sont enfermés.
Du coup, tout ce qui est officielement présenté est obscène car tout y est mensonge. On ne voit rien à Hiroshima car il n'y a rien à y voir, car ce qui y est donné à voir n'est qu'une image, elle aussi une ombre positive. La première est celle de cette personne disparue, la seconde est l'ombre positive de l'histoire. Tu n'as pas existé dit la bombe. Et cela est définitif. Les survivants comme les morts n'ont pas existé et n'existe pas.

LA CÉRÉMONIE
Depuis longtemps (les phrases ou textes commencant par depuis longtemps sont toujours prévisiblement fausse), est organisé à Hiroshima une cérémonie de souvenir. Le 6 août de chaque année, à 8h. La bombe explosa à 8h45.
La première année après la bombe, certain survivant se sont retrouvé dans la parc aujourd'hui nommé de la paix pour se confronter à l'heure propre histoire. Est alors né cette tradition d'Hiroshima de se retrouvé à cette date chaque année.
Mais comment se passe la cérémonie aujourd'hui ? Je m'imaginais, mais je suis très naïf, un moment de rassemblement, de silence, de respect. Alors que tout dans cette cérémonie est une farce qui serait grossière si elle n'était pas obscene.
Le décor : le parc de la paix est composée le long d'un alignement ressemblant à l'alignement des monuments dans Paris : Louvre, Tuileries, Concorde, Champs Élysées, Arc de Triomphe, Arche de la Défense. ici, il y a belle fontaine, musée, parterre, cénotaphe, bassin, A-Bomb dome en guise d'Arc de Triomphe pour la perspective.
Les gens sont assis devant le musée, et la scène est devant le cénotaphe. Je ne devrais pas dire les gens mais les invités. c'est un public bien composée : les notabilités de la ville, de la région, de l'état, les participants au colloque contre les armes nucléaires, les maires partenaires de l'association des Maires pour la Paix et les invités étrangers : des mouvements pour la paix, contre la guerre, pour la justice, pour l'amour, des étudiants en échange linguistique et moi. On se rend compte qu'il manque rapidement quelque chose : les habitants d'Hiroshima et surtout, même et principalement, les survivants.
Et dans le public, ca papotte, ca rigole. C'est assez bon vivant. Donc on entend rien de ce que dit l'interprete anglaise. Et donc on ne se rend pas compte que la cérémonie a commencé. Je dois aussi dire que je ne voyais rien car une famille de gros cons devant moi était debout pour prendre des photos, ca fait des souvenirs. Peut importe si on rate le premier acte.
Acte I : dans le cénotaphe, il y a un registre indiquant le nom des victimes. Jusqu'à l'année dernière il n'y avait que le nom des victimes dont on connaissait le nom. cette année, c'est une première a été ajouter « and many unknown ». Ce qui veut quand même dire que si on a eu l'outrecuisance de disparaître sans laisser de trace sur un pont ou contre un mur, on pouvait se brosser pour être dans le cénotaphe ! Être seul et mourir sans que personne le sache le jour de la bombe à Hiroshima ne meritait franchement aucune considération... Chaque année, lors de la fête de commémoration pour gros cons qui discutent et socialilisent et qui m'empêchent d'entendre, on inscrit dans ce registre les morts de l'année. Ce devrait être un moment fort. Cette année plus de 500 personnes sont encore mortes des conséquences de la bombe. Mais ce n'est pas un moment fort. Comme tout le monde parle, personne ne sait ce qui ce passe et surtout qu'il est en train de se passer quelques chose.
Acte II : la cérémonie commence vraiment. Silence et c'est normal car ce qui se joue là est vraiment « trop fort » : discours du maire (« à bas la guerre vive la paix »), discours du chef du conseil municipal (« il faut se rappeler d'il y a 61 ans »), discours de deux enfants représentant la « population de Hiroshima », enfants dont les parents ont surement peur qu'ils voient un jour un hibakusha, (« vive la paix dans le monde à bas la guerre »). Là grand moment, des centaines de colombes s'envolent. Ensuite défilé de bouquets offert par : le maire de Hiroshima, la ville de Hiroshima, le conseil municipal de Hiroshima, les habitant de Hiroshima, la préfecture de Hiroshima, le premier ministre japonais, la diete japonaise, le ministre des affaires étrangères, le ministre… ad libidum pendant trop longtemps.
Le clou du spectacle : le discours de Kuzimi, premier ministre du japon, connard absolu, droite limite extrême, qui se sort en permanence d'affaires juridico-financieres douteuse et auprès de qui Berlusconi passerait pour un léniniste forcené. Donc celui même qui chaque année honore la memoire des soldats japonais morts pour la patrie, même ceux qui ont fait la Seconde Guerre mondiale et ont tué, massacré, violé, terrorisé des pays entier, et qui provoque ainsi chaque année l'ire de ces voisins, celui qui a fait changer les manuels scolaires pour ne plus apprendre aux enfants le rôle néfaste du Japon avant et pendant la Seconde Guerre mondiale (un peu notre « aspect positif de la colonisation farnçaise » à nous), celui qui remilitarise le japon, cet homme-là arrive, une grosse partie du public se lève et écoute, cet homme-là fait un discours sur la paix et ratati et ratata. Et cet homme-là est applaudi.
Fin du spectacle : une minute de silence (que j'ai trouvé tres courte pour une minute et sans silence car on fait sonner une cloche plusieurs fois) à l'heure T. Et puis musique. J'ai d'ailleurs trouvé la compil des musiques des cérémonies précédentes, ça va du neoclassique disneyiant au glam rock style Bonny Tyler (No more Hiiiiiroshiiiiima, Noooo more hiroshimAAAAAAA!).
Et puis tout le monde s’en va vite car on a été au soleil pendant une heure sans ombre et il fait chaud.
Ce qu'il manque : du silence, des morts et surtout de survivants. Ce que l'on a : de la mondanité politique obscène, avec de la musique de merde.
J'ai rarement vécu quelque chose d'aussi affligeant. Surtout quand pour finir ma voisine me demande comment j'ai trouvé la cérémonie.

LA CÉRÉMONIE DES LANTERNES
Au Japon, un des rites pour faire le deuil est de mettre une lanterne sur la rivière pour qu'elle parte vers la mer. On peut écrire un mot sur cette lanterne. C'est un geste très beau, simple et calme.
À Hiroshima, il y a le soir du 6 août une cérémonie qui consiste simplement à la mise à l'eau d'un tres grand nombre de lanternes. C'est aussi très beau, simple et presque calme (On n'évite décidement pas la musique le 6 août à Hiroshima).
Je suis allé mettre ma bougie, dédicacée à la mémoire des fantômes. Et puis j'ai regardé les autres lanternes. Et le temps a passé jusqu'à la tombée de la nuit.
Je n'ai pas pu rester autant en contemplation que je le souhaitais car j'ai dû filmer.
Mais, évidemment il y a un mais, c'est comme la musique de merde le 6 août, il y a toujours un mais à Hiroshima, si l'on prend soit de bien regarder. On ne peut y faire sans une certaine forme théâtralité. Il me semble que le geste personnel des hommes et des femmes venant déposer une lanterne est vrai. Par contre, peu doivent se rendre compte de la vaste supercherie de l'organisation. C'est évidemment plus joli quand il y a plein de lanternes, alors les organisateurs ont décidé d’en rajouter. L'ensemble des lanternes est donc composé d'une part par des « vraies » lanternes et l'autre par une série de lanternes mises à l'eau à la pelle, sans le ressenti qui doit etre mis dans ce geste, depuis trois bateaux au milieu de la rivière…
Le plus terrible, c'est que ces bougies sont censées déscendre l'Ota jusqu'à la mer. Bon, comme ce sont des bougies de mauvaise qualité, elles ont du mal à faire plus de 100 metres et s'éteingnent juste après le tournant de la rivière quand les spectateurs ne peuvent plus les voir. Cela est presque accessoire car le pont suivant, se tient un bateau qui ramasse toutes les lanternes, éteintes commes allumées. Les bougies ne descendent pas à la mer. Ma lanterne, avec les autres, a fini dans le fond d'un sac poubelle. Elle n'était pas en train de descendre au ruthe doux des flots, même éteinte, vers la mer. Mon deuil exprimé envers les fantômes ne pouvaient plus leur parvenir. Ce n'est pas que je crois aux fantômes, ni même que je crois tout court, mais il y a dans un geste de deuil, un reste de religiosité. Mes fantômes sont les ombres positives, sont les morts noyés dans la rivière où j'ai posé ma lanterne, sont les ombres carbonisées que j'ai vu sur les photos, ce sont aussi les survivants cloitrés et rejetés. Et la matérialisation de l'hommage que je leur ai porté n'a pas été respecté. Et hop, dans une poubelle. Ça suffit, le gaijin a mis sa petite lanterne, il croit qu'elle va aller à la mer, ça suffit, elle n'a pas besoin d'y aller pour de vrai. Un peu comme quand j'ai découvert que le père Noël n'existait pas.

DÉPITÉ
Les heures, les jours depuis cette cérémonie ont été sombres.

RETOUR AU MUSÉE
Him: You saw nothing at Hiroshima. Nothing.
Her: Four times at the museum…
Him: What museum in Hiroshima ?
Her: Four times at the museum in Hiroshima. I saw the people walking around. the people walk around, lost in thought, among the photographs, th ereconstructions, for want of something else, among the photographs, the photographs, the reonstructions, for want of something else, the explantions, for want of something else. Four times at the museum in Hiroshima…
Him: You saw nothing at Hiroshima. Nothing.

Difficile d'expliquer ce musée.
Un moment vécu : une grosse conne américaine dans le musée à Hiroshima. (Il y a beaucoup d'Américains à Hiroshima, et leur manière de se consuire est totalement déplacé). 25 ans et un chewing-gum l'Américaine. Elle prend en photo une photo exposée. La premire prise après l'explosion montrant des survivants brûlées à un poste de secours. Et là, que fait cette Américaine à chewing-gum qui prend une photo en photo : elle baille.
Autre petit moment à la librairie. Je regarde un livre montrant des photos très dures (il n'existe pas de photos « faciles » de Hiroshima), et là une grosse conne indienne me pousse litéralement pour prendre un livre qui était devant moi. Elle me pousse comme si je n'étais pas là. Etrange manque de politesse qui ne serait pas très important si cette grosse conne ne venait pas de passer deux heures dans un musée sur la destruction de milliers de vies humaines.
Je n'ai pas d'avis sur ce musee. Je crois même plus radicalement que l'on ne peut pas avoir d'avis sur ce musee. You saw nothing at museum. Surtout pas de vivants d'ailleurs. Là non plus les hibakusha n'ont pas de place (il y a un lieu plus loin dans le parc qui leur est consacré mais même ma traductrice ne le connaissait pas alors que ce mémorial existe depuis cinq ans). On ne voit pas les (sur)vivants à Hiroshima. Ce musée est vide de plein plutôt que plein de vide. C'est dur à expliquer. C'est par exemple très loin de l'intervention de Libezkin dans l'épouvantablement indécent Musée de la civilisation juive à Berlin. Sa proposition architecturale essayant de transcrire d'abord la destruction du peuple juif et ensuite le déraciement est reélement un geste sensible. Quand on s'y rend, on ne ressent pas la mort, cela est impossible, mais l'on ressent quelque chose de sinistre, de dur, de froid. Il y a quelque chose de « juste » dans sa la proposition. Ici à Hiroshima tout à été détruit. Et dans le musée, nulle part il y a de vide, de silence et de repos. Juste une succession sans fin de panneaux avec textes immenses devant lesquels défilent des hordes de touristes qui après Kyoto viennent à Hiroshima et qui ensuite feront du shoping à Osaka.
So, there is nothing to see at the museum. Nothing to tell. Nothing to thing.

LES COMMUNISTES
Le mouvment communiste a été très fort au Japon après guerre. Ce qui s'explique notament par le fait que seuls les communistes n'avaient pas participé au cabinet de guerre, qui a réuni tous les autres partis, même nos « amis » les réformateurs socialistes.
En particulier à Hiroshima, les communistes et les socialistes ont été trés puissants. la population était très militante. Le « vive la paix, à bas la guerre » n'avait pas la naivete crasse et la betise que ce slogan revêt aujourd'hui.
Disgression : un soir que je prennais des photos du dôme (a la difference des touristes, moi je prend des photos du dôme et eux se prennent en photo devant le dôme),  un groupe tres oecuménique se prennaient en photo devent le dôme. Ils avaient des pancartes écrites dans toutes les langues : « vive la paix », « I'm against the war », « abolissons la souffrance », et autres crétineries. Je les avais dejà vu l'apres midi et ils m'avaient intrigués. En fait, ils existent des gens qui se payent le voyage à Hiroshima pour y vivre un moment « fort », « plein de paix » et de « séreénité », qui « échangent » avec des gens d'autres pays et qui se prennent en photo devant le dôme avec des pancartes « vive la paix ». Georges Bush n'a qu'a bien se tenir, sinon ces gens vont le gronder. Une fessée et au lit. Et apres avoir pris leurs photos d’eux-mêmes, ils se sont auto-congratulé. J'ai découvert ce soir-là le pacifisme con, mais alors totalement con. Et aussi obscene que le reste. Il est plus facile de venir à Hiroshima se prendre en photo avec une pancarte  qu'agir réellement et surtout politiquement pour l'établissement de la paix. Je ne sais pas si faire des films est beaucoup mieux, mais en tout cas, ce n’est pas particulierement facile de devoir les faire. En ce moment je ne me dis pas « bravo, c'est super ce que je fais, je suis à Hiroshima et grâce à mes photos, le monde va enfin être heureux et la guerre s'arrêtera ». Fin de la digression.
Ces mouvements populaires (communistes de Hiroshima) ont fait beaucoup. Ils ont exigé et obtenu des droits pour les survivants, ce sont eux qui ont créé cette ceremonie et le congrès contre les armes nucléaires. Bref quelques années après la bombe, les socialistes gèrent la mairie et les communistes ne sont évidemment pas d'accord avec les choix ideologiques des socialistes. Et après quelques années d'extrême agitations, les communistes disparaissent et les socialiste font les socialistes, avec ce que cela signifie de trahison et de bonne conscience.
Je vois une affiche sur les murs de ma rue avec une photo, celle dont je parle plus haut photographiée par cette grosse conne qui baille. je vais à l'expo. Et là, une expo un peu scolaire avec des panneaux. Mais peu importe. Poeme d'un survivant, Toge qui est à l'initiative des mouvements pour la paix, et des photos. Mais pas le même choix qu'au musee. Ici, on voit les corps calcinées, brûlés, déchiquetés. On voit les survivants parqués dans des cloaques en train de mourir. Et on parle aussi de la remilitarisation du Japon, d'une base americaine qui s'installe à coté de Hiroshima (pour ceux qui ne le savait pas, les Americains ont encore plusieurs bases militaires au Japon dont certaines nucléaire), une partie sur la bataille d'Okinawa (autre grand mensonge le l'histoire officielle qui racontent que les militaire japonais étaient odieux, ce que l'on ne peux remettre en cause, mais qui omet de dire que les Américians ont massacré femmes et enfants, vieux et vieilles. Tout japonais etait un ennemi. Comme au Vietnam. D'ailleurs Okinawa a été le premier terrain d'essai du napalm)… Bref, meme si je connaissais toutes les images et les histoires présentées, cette exposition était tres violent.
La chose la plus remarquable était qu'il y avait des hibakusha qui attendaient pour aconter leurs histoires à qui voulait les écouter. Avec un traducteur americain pour ceux qui ne parlaient pas japonais. Je n'ai pas eu le courage d'écouter. Pour moi, c’était trop violent. Mais il y avait plein d'enfants qui eux écoutaient. Qui apprenaient de la bouche de celui qui aurait pu être leur grand-père ou de celle qui aurait pu être leur grand-mère les horreurs qu'ils avaient vécues.
Cette exposition étaient organisée par ce qu'il reste des Mouvements pour la paix communistes.
je suis allé à leur meeting les jour suivant. Ils existent donc des gens dans cette ville qui gardent la mémoire vivante et qui dévouent la plus grande part de leurs actions aux hibakusha, et qui de plus ont un dicours politique. En fait, à Hiroshima rien n'est politique. Et c'est là que je l'ai compris. Le musée, la cérémonie et tout le reste sont basés sur un oecumenisme et un apolitisme de façade mais ce choix d’une certaine « neutralité » répond pourtant à un choix politique précis. Chacun des choix opérés par ceux qui ont le pouvoir ici sont politiques. Éminement politiques même. La chose la plus évidente est que rien ne remet jamais radicalement en cause l'attitude des Americains. Quand l'on commence à se documenter sur le pourquoi du lancement de la bombe, on se rend compte qu'il n'y a aucune, AUCUNE, raison valable. Ce geste est un geste gratuit, un geste de puissants. Le Japon demandait depuis le printemps la rédition, les États-Unis n'ont jamais répondu. Les États-Unis savaient que le Japon ne pouvait plus tenir militairement. Les États-Unis avaient les codes de décryptage japonais. Ils connaissaient l'état de délitement du pays. Même la pseudo explication concernant l'URSS, à savoir que la bombe a été envoyé pour impressionner les Russes, n'est pas une réponse car les Russes étaient déjà au courant de l'essai reussi de la bombe a Alomogadro. Ne pas charger moralement les États-Unis de la bombe est un choix politique. Quand les Americains viennent à Hiroshima avec leurs baillements, ils n'ont rien à remettre en cause. Que cette bombe soit dramatique ne remet pas en cause leur version officielle de l'histoire qui est que la bombe a sauvé la vie d'un million d'Americains, prix supposé d'un débarquement. (Enfin aujourd'hui… puisque que l'estimation pendant la guerre demandée par Roosevelt prevoyait entre 40 000 et 60 000 morts américains. Les années passant le chiffre a magiquement, « apolitiquement » on pourrait dire, gonflé.)
Du coup, se retrouver dans ce meeting, avec ces Japonais, et surtout avec les hibakushas, avec leurs forces d'opposition et de non-renoncement (un peu comme l'appel des Résistants lors de la mise à sac des acquis sociaux qu'ils avaient obtenus, par les derniers gouvernement de la droite française). Ces gens ne capitulent pas, et ce à l'endroit même où certains qui pensent agir à leur place ont capitulé. Et j'ai manifesté avec eux, contre les Américains.
Je suis devenu encore plus anti-américains ici. Ce GI du pont ou cette fille qui baille ne sont que deux exemplaires du type de personnages formant une majorité du peuple américains. Les GI qui ont occupé le Japon après-guerre sont les mêmes que ceux du Vietnam, de la Corée, d'Irak... Pour eux, ce qui n'est pas américain n'a aucune valeur. Ne merite aucune attention. La vie d'un non-Américain ne vaut rien. Ce qu'ils ont fait ici, ils l'ont reproduit dans toutes les guerres depuis, et elles sont étonnement nombreuses celles menées par ces pseudo défenseurs de la liberté. Nous ne pouvons que remercier ce scientifique allemand ayant travaillé sur le projet Manhattan et qui a donné à l’URSS les informations nécessaires à la construction de leur propre bombe. Sans lui, et sans la bombe russe acquise très vite, combien y aurait-il eu d'autres Hiroshima ?

LES ARCHIVES
J'ai la chance de ne pas être ici touriste. Je suis venu travailler.
Je pensais avant de venir ici, très naïvement, que vouloir faire un film sur la mémoire de Hiroshima serait assez facile. Que l'on m'ouvrirait les portes, qu'on comprendrait mon projet, qu'on m'aiderait même, et surtout que l'on me donnerait facilement les photos dont j’avais besoin. Et ben, je me mettais le doigt dans l'œil jusqu'à l'omoplate, voire jusqu'au talon.
Je suis heureusement tombé sur quelques personnes adorables qui m'ont ouvert leur archives. Mais l'exemption ne fait pas la règle.
Un vrac et pour résumer :
- Toute image de Hiroshima détruite à une valeur pécunière.
- Toute image photographique est considéré comme image « artistique » si elle concerne cette ville.
Avec pour moi comme conséquence : l'interdiction de les utiliser.
Je passe sur les familles des photographes, sur les photographes eux-mêmes, sur les journaux locaux, sur la télévision nationale qui considère tous totalement « obvious » de me facturer chaque photo entre 20 000 et 40 000 yens (160-280 euros), ce qui multiplier par au moins mille se relève vite très cher…
Je ne parlerai pas non plus des services municipaux qui, comme presque tout Japonais, ne savent pas ce qu'est un « artiste » et me considère tout d’abord comme un voleur venu leurs chiper leurs photos. Ils ne comprennent rien à ce que je leur raconte : art ? court métrage ? animation ? et ne cherchent surtout pas à savoir.
Donc à Hiroshima comme partout : une image de la destruction n'est pas simplement une image, c'est une image chère. Même ma traductrice me confirme que « quand même, les gens qui ont prit ces photos,ils  ont été à Hiroshima avec un appareil photo, et c'était il y a longtemps, et ça vaut de l'argent. » Donc, une photo comme celles sur lesquels on voit des cadavres recrocquevillés carbonisés au sol, ou ces photos de brûlures, de cicatrices, cela vaut de l'argent et « c'est normal ». Les photos de l'événement historique n'existent pas ici comme témoignage mais comme forme matérialisé de l'argent. Donc, si un jour il y a la guerre et que votre voisin est dépecé, prenez le corps en photo, cela pourra vous rapporter de l'argent. Le pire dans cette histoire, c'est que les photographes ont, il me semble, pris ces photos pour témoigner. C'est le temps passant que ces photos sont devenues « rentables ».
Cette médiocrité est terrible, mais pas la pire. Cette question de l'argent dénote un état du monde contemporain où le néo-capitalisme a réellement gagné. Mais cela on ne l'apprend pas à Hiroshima, on ne peut que le déplorer.
Ce qui est en revanche vraiment terrible est la deuxième raison pour laquelle on me refuse les images : l'impossibilité de parler de hiroshima. Nous avons bien vu que seul existe (ou presque) la parole officielle. Parole officielle qui est totalement biaisée et emprunt d'une ideologie nauséabonde sous le verni d'un apolitisme de façade. On ne veut pas me donner les photos par principe. Je ne peux pas, en tant que personne n'appartenant au serail officiel et seul habilité à parler de Hiroshima, en mon nom propre travailler sur le sujet.
Cela se traduit par ce type d'agissement. Le Msée de la paix, organe suprême de l'officialisme de la commémoration exige que je mette le nom des photographes à chaque image à l'écran. Ceux qui connaisse mon travail, sauront rapidement que cela est inenvisageable. Demander ces crédits à l'image est une maniere polie mais ferme de me les refuser. Ces photos, dont le nombre n'est pas si élevé et qui sont du coup surexploitées par tout le monde ici (sans crédit evidement), me sont pourtant refuser car mon projet n'émane pas du Musée et n’est pas financé par une télévision japonaise. J'ai rencontré aujourd'hui une commissaire d'expo qui m'a raconté que « par principe, ils ne donnent pas les images de leur archives », et ce alors meme qu'ils se targuent à l’extérieur de les donner gratuitement à tout projet censé sur Hiroshima. On ne voit rien à Hiroshima car on ne peut rien voir. On ne voit rien à Hiroshima car certains ne veulent pas qu'on y voit quoi que ce soit.
La discussion d'aujourd'hui a été ubuesque. Je suis resté poli mais malgré tout j’ai réussi à dire tout ce que j'avais sur le cœur.
j'ai dit que je n'envisageais à aucun instant que les seules images que je puisse utiliser pour faire ce film soit les images de l'armée américaine. Je trouverais cela totalement désolant mais surtout amoral.
Que ma réponse à l'hypothèse que ces photographes soient des « artistes » et leurs photos des « œuvres d'art » (ce que m'a expliqué sérieusement la gentille dame) était qu’il s'agissait ici d'éthique et non pas d'art.
Que je trouvais absolument désolant de venir dans cette ville faire un film sur la disparition de sa mémoire et que l'on me refuse toute image soit pour raison financiere soit par principe et que ceci-même participe à l'étiolement de cette mémoire.
Que je venais ici pour avoir un assentiment moral à mon travail plus que pour les droits des photos (elles se trouvent partout, je peux donc facilement les récuperer sans autorisation), et que cette assentiment, on me le refuse. Cyniquement ce sont les gens payé pour entretenir la mémoire de la ville qui me refuser d’y travailler.
J'ai quand meme réussi à ce que le non catégorique du début de la discution se transforme en « oui peut être ».

AYAKO
Hier soir, nous avons dîné et bu un verre avec une jeune femme moderne : Ayako. Elle travaille bénévolement sur un festival de courts-métrages se déroulant à Osaka. Un de mes films a été selectionné dans le dernier festival. Ayako est venue à Hiroshima passer trois jours pour notament rencontrer les organisateurs d'un autre festival se déroulant à Hiroshima et « couplé » à celui d'Osaka.
Nous avions rendez-vous devant le dôme. In front of the dome. Lorsque nous nous retrouvons, je lui présente Laurent et l'une de ses premières question est « Is Laurent your boyfriend? » Nous répondons « yes », et elle : « great ». Sa question m'a surprise car au Japon, l'homosexualité n'existe pas (ou plutôt « plus », ce que l'on apprend de manière surprenant dans Le Grand miroir de l'amour mâle de Soseki, à lire absolument, tres surprenant !) Elle existe bien sûr, mais elle ne se montre pas, ne se voit pas. Elle n'existe pas.
Nous sommes allé dans une echoppe d'Okoyonimaki (plat typiquement local, absolument divin, espèce de crêpe avec plein de choses dessus). La conversation se déroulait socialement, chacun avec notre anglais international limité. Elle avait apprécié mon film, celui sur les femmes tondues. J'ai alors la confirmation que le publics japonais n'y comprenait rien, mais cela est plutôt normal, ce qui ne fait que continue de m'étonner de la programmation de ce film à l'étranger. Nous parlons de cinéma et d'animation. Elle formule clairement ses opinions, ce qui n'est pas le cas habituellement lors de conversations avec des Japonais.
Et puis la conversation dérape. Elle nous demande ce que nous avons pensais de la cérémonie du 6. Nous lui répondons assez franchement notre étonnement face à cette cérémonie vide de tout sens et de toute justesse. Et à ce moment-là, elle commence un discours pour nous très étonnant auquel au début nous ne comprennons strictement rien. Nous parlons de la guerre, du maire extrême droite de Tokyo, de Koizumi, nous évidemment avec notre opinion de gauchistes de français invétérés. Et commence un monologue d'Ayako très étrange. Elle prenait beaucoup de temps pour réfléchir. Et redire plusieur fois chaque phrase en posant les silence à des moments différents de la phrase.
« People… here, in Hiroshima… are… extreme.People of… Hiroshima… are extreme… » Plusieurs fois. En disant cela, elle chuchote et regarde tout autour d'elle pour vérifier que personne ne l'écoute. Evidemment, je suis un peu intrigué par cette assertion et la manière de la dire, et je demande des éclaircissements. « In schools, in Japan, we learn about World War II, but here in Hiroshima… teachers… are extreme. (plusiers fois) ». Je pense alors qu'elle veut nous expliquer que la vision de l'histoire à Hiroshima est trop victimaire. Je lui répond qu’au musée les explications sur le pourquoi de la bombe reprennent très souvent le thème du Japon agresseur et que je trouve nécessaire de continuer à montrer le Japon de la guerre comme un Japon conquérant et ignoble mais que cela n'est pas la raison du bombardement de Hiroshima. Et qu’au musée, la répétition incessante de cette culpabilité japonaise offre un motif facile de compréhension de la dévastation, une justification rationnalisante : « nous l'avons mérité ». Étrangement, les seuls livres sur la bombe autorisé par la censure américaine étaient les livres adoptant ce point de vue… Je répète à Anayo que la culpabilité des Japonais pendant la guerre n'est en rien une raison justifiant la bombe. Il me semblait naïvement que c'est ce qu'elle évoquait.
Elle parle ensuite du fait que chaque été au Japon, la télévision montre énormement de films de guerre. (Effectivement, j'ai été surpris de voir dans les videoclub des tonnes de films sur la guerre avec les soldats japonais présentés comme des héros). Elle nous dis que ces films montrent toujours les Japonais que comme des victimes des américains. Mais que l'on ne voit jamais les autres côtés de la guerre. C’est-à-dire, l'invasion par la Japon de toute l'Asie avec une barbarie n'ayant rien à envie aux Nazis. Mais cela est ma pensée, pas celle de Ayano.
Elle nous dit qu'ici on ne parle pas de la guerre. Pas en famille, pas avec ses grand parents qui l'ont vécu par exemple. On n'en parle pas, c'est tout. Du coup, elle a du mal à comprendre ce qui s'est passé. Mais nous avons encore le droit à ses phrases à hésitations et à répétitions. Sur le côté extrême des gens à Hiroshima, sur la télévision publique. Tres étrange et intriguant.
Et là, elle nous donne la clef de lecture de toute sa pensée.
« Nankin » (La Chine accuse les Japonais de génocide dans la ville de Nankin, 300 000 civils y ont été tués. N'étant pas historien et ne connaissant de la guerre du Pacifique que les quelques lectures que j'en ai faites, il me semble que le massacre de Nankin est un évènement primordial même si les Japonais nie cette boucherie. Dans tous les cas, ergoter sur l'ampleur du massacre ne change rien à la violence de l'armée japonaise dans toute l'Asie conquise).
Donc « Nankin ». Elle « ne sait. Les Chinois disent qu'il y aurait eu 300 000 morts, mais la ville ne comprennait que 200 000 personnes. » Je déglutie, poliment (tout révisionnisme s'intéresse aux points de détails qui, s'ils sont faux ou qu’en partie vrais, permettebt de mettre en cause l'ensemble de l'événement auquel le détail appartient). Elle trouve cela « bizarre ». « Il y a un film sur Internet, sur Utube, un film de l'armée japonaise qui a filmé Nankin. » (plusieurs fois répété). Elle a vu le film. Elle ne sait pas, mais « le film ne montre pas les massacres ». (je ne connais personnelemtn aucun film de propagande en temps de guerre montrant les massacres que l’on commet…). Elle, elle ne sait pas. Et là, la clef : “I don't know if in Nankin, Japonese kill like in normal war or if… or if, like Chinese say, it was a….” (pas besoin qu'elle le dise pour comprendre GENOCIDE). "I don't thing that we, Japonese people can do that, kill people". Donc les Japonais ne peuvent pas tuer et avoir tué. Les japonais ne peuvent être responsable des accusations portés contre eux car « les Japonais sont incapable de tuer ». Ça fait le meme effet qu'un Allemand qui dirait : « Ah ben non, je suis persuadé que les Allemands n'ont pas tué pendant la guerre. » Cette fille est d'extrême droite et totalement révisionniste.
Et elle revient sur Hiroshima, et les prof d'ici. Elle redit qu'ils sont « extreme », avec un adjectif japonais que je n'ai pas réussi à retenir et qu'elle a pourtant répété plusieurs fois. En fait, ce dont elle accuse les gens de Hiroshima n'est pas une éventuelle part trop grande accordée à la victimisation mais au contraire de ne pas suivre l'histoire officielle, c’est-à-dire : le Japon a été un gentil peuple qui a amené la civilistaion en Asie (nous connaissons nous même bien ce type de discours) et les Américains ont été « méchants ». Je rappelle que les livres d'histoire ont été changés au Japon pour faire disparaître toute responsabilité de celui-ci lors de la Seconde Guerre mondiale. Exit les femmes violées, les déplacements forcés de population, les travaux forcés, les expériences médicales, les massacres, les génocides, l'esclavagisme, l'organisation de la disette…  Mais à Hiroshima, les profs ne veulent pas enseigner cette histoire officielle, ils sont « extreme », ils sont, dirons-nous, d'extreme gauche. Ici, toute pensée contre la pensée générale, contre l’histoire officielle est taxée d'« extreme », avec un geste de dégoût.
Et donc cette jeune fille nous dit çaa le plus sérieusement possible. Les Japonais ne peuvent avoir fait ce pourquoi ont les accuse, la télévision ne montrent jamais les bienfaits apportés par le Japon en Asie, les gens de Hiroshima sont extrêmistes car ils enseignent un Japon coupable. Et évidemment, elle nous dit plusieurs fois qu'il y aura une guerre bientôt. « Mais nous n'en avons surement pas la même vision… » Elle la pense comme guerre juste contre une attaque envers les valeurs japonaise, moi à l’entendre, je la vois comme une probable nouvelle guerre d'expansion menée par un pays fascisant…
Et puis, la discussion a continué. Parmi de nombreux autres sujets je peux rapporté cela :
- Elle aime beaucoup la culture chinoise, mais elle n'y ai jamais allé, car les Chinois, euh, disons, les Chinois sont… sont…, enfin… Elle n'aime pas les Chinois. (les Chinois pour certains Japonais, c'est un peu les « Bougnouls » pour les Français racistes).
- Elle aime bien Kyoto, mais les gens y sont vraiment, comment dire, enfin elle n'aime pas les gens de Kyoto. Eux aussi à Osaka, ils ont un château… Enfin…
- À Osaka, il y a un quartier dans le sud de la ville. C'est un bidon ville. Tous les homeless du Japon s'y retrouve. Il y a un mot pour un évoquer l'odeur. (Évidemment je ne l'ai pas retenu). Ce mot, pour désigner l'odeur de ce quartier correspond à l'évocation de l'odeur de la vie, enfin, de « trop de vie ». Difficile pour nous à saisir. Je suppose que cela signifie que ca sent la merde, la pisse, la sueur… C'est son expression de dégôut en évoquant cette odeur qui m'a fait supposer cela.
Donc, nous avons passer une soirée avec une jeune femme japonaise moderne, qui travaille pour un festival de court-métrage, qui aime le cinéma, qui n'est pas effarouché par un couple de pd, mais qui a une pensée répugnante d'extrême droite révisionniste et guerrière…

 

Jean-Gabriel Périot
été 2005